Cycle biogéochimique et source-puits de thallium
Dans les profondeurs de l’océan, les sédiments et les nodules de manganèse sous-marins constituent des « puits naturels » de thallium. Toutefois, son comportement dans les zones côtières et les eaux océaniques ouvertes reste encore méconnu. Des recherches récentes ont révélé que les bactéries contenues dans les sédiments jouent un rôle important dans le cycle marin de l’élément chimique 81.
Cycle biogéochimique étroitement lié au pH
En milieu très acide (pH < 3), le thallium reste principalement sous forme libre dans l’eau. Toutefois, il a tendance à s’adsorber rapidement lorsque le pH atteint environ 6,5, en fonction de son état d’oxydation. Environ 1 à 5 % du Tl total dans les milieux marins se trouve sous forme de Tl3+. Dans une plage de pH allant de 2 à 12, en présence de conditions de potentiel redox élevé, le Tl3+ peut former un précipité insoluble de Tl(OH)3.
En 2004, Rehkämper et Nielsen ont démontré que le Tl+ subit une oxydation réversible en Tl3+ sous l’influence de la lumière. En 2006, les travaux de Karlsson et de ses collègues ont indiqué que le Fe3+ pouvait également être également photo réduit en Fe2+. Ainsi, l’état redox du thallium dans les systèmes d’eau douce paraît être régulé par le cycle du fer qui est souvent associé à des bactéries.
Variations des taux de thallium dissous
L’élément chimique 81 considéré comme non essentiel et extrêmement toxique dans le milieu marin, était autrefois jugé comme stable dans cet environnement. Une idée que des chercheurs allemands ont remise en question dans les années 2010. Ils ont démontré que les taux de thallium dissous (Tldiss) varient considérablement (environ 25-60pM) dans la colonne d’eau. N’ayant aucun rapport avec la salinité, ils sont en corrélation avec le manganèse et le molybdène présents. Les fluctuations varient en fonction des zones, des marées et des saisons. Elles ont été observées le long des côtes allemandes près de Spiekeroog, telles que la baie de Jade, l’estuaire et les régions offshores adjacentes. En termes de bilan massique, le thallium dissous diminue jusqu’à -50 % quand la marée est basse. Cette réduction est inversement proportionnelle au manganèse dissous (Mndiss), sauf en été.
Causes des fluctuations
Ces variations sont détectées jusqu’à plus de 40 km de la côte, jusqu’à Heligoland. Elles résultent d’un phénomène d’absorption/désorption rythmique du Tl des eaux interstitielles du sédiment. Ce dernier est lié à la chimie redox du thallium qui demeure mal comprise. Les sédiments anoxiques pourraient agir comme un puits pour le Tldiss, où il se combinerait avec le sulfure de fer. Initialement, les scientifiques pensaient que la réduction du thallium dans les eaux interstitielles se produisait uniquement dans des conditions anoxiques et sulfuriques. Toutefois, des études plus récentes suggèrent que le cycle du Tl est également influencé par des conditions légèrement réductrices (suboxiques). Il est probablement en relation avec des phases de réduction microbienne du manganèse dans les sédiments.
En 2021, une expérience en mésocosme a été réalisée pour analyser la saisonnalité du phénomène de diminution significative du thallium dissous. Elle a démontré que celle-ci pourrait être causée par une complexation temporaire de l’élément chimique 81 par la matière organique issue des blooms planctoniques saisonniers. Prélevé de la colonne d’eau, le métal est momentanément maintenu par des phases porteuses organiques (ligands, algues en décomposition, bactéries, etc.) et inorganiques. Ensuite, il est déposé et éventuellement fixé dans les sédiments sulfurés. Entre 4 et 20 % du thallium total dissous de la colonne d’eau seraient ainsi éliminés de façon régulière, mais provisoire. En mésocosme, il a été constaté que les diatomées ne semblent pas jouer un rôle significatif dans ce processus. Néanmoins, les blooms de Phaeocystis sp., surtout au stade colonial de formation d’hydrogel, entraînent des déperditions notables du thallium dissous, à raison de 27 % par jour.
Répartition spatiale du thallium dans les zones intertidales
En 2021, lors d’une étude réalisée par des chercheurs allemands, des concentrations élevées de thallium dans l’eau interstitielle de divers sédiments ont été constatées. Elles ont été six fois supérieures à la normale et ont été étroitement liées à la dégradation aérobie de la matière organique. En revanche, le métal s’est estompé de ce milieu lorsque ce dernier est devenu très peu réducteur (avec une quantité de manganèse ou de fer supérieure à 1 µM).
Les variations saisonnières et spatiales du fer dissous ainsi que les taux de Mg influent sur la répartition du thallium dans les zones intertidales. Les chercheurs pensent que cette libération rapide et cyclique de l’élément chimique 81 dans l’eau est le résultat d’une combinaison de phénomènes. Elle inclut la dégradation de la MO, la désorption du thallium adsorbé temporairement sur les particules sédimentaires et/ou la réoxydation. De manière inverse, la disparition cyclique du Tl de l’eau serait apparemment reliée à la présence de traces de sulfure dissous.
Compréhension des mécanismes de puits et de sources de thallium
Les sédiments intertidaux sont généralement considérés comme un puits pour le thallium, l’uranium et le rhénium, surtout dans les conditions essentiellement anoxiques pendant l’été. Cependant, en hiver, leur oxygénation étant optimale, ils peuvent devenir une source nette de l’élément chimique 81. Les auteurs de cette étude allemande de 2021 ont indiqué l’ordre d’élimination de ces métaux dans l’eau interstitielle suivant : Tl > Re > U > Mo.
La compréhension des mécanismes de puits et de sources de thallium dans le milieu marin reste encore incomplète. De plus, les estimations de flux de Tl peuvent ne pas s’appliquer aux sédiments perméables des plages de sable. D’autres types de sédiments présentant des conditions légèrement sulfurées sont aussi susceptibles de les remettre en question. Par ailleurs, des expériences ex-situ ont prouvé que la réaction mécanique du thallium dans les eaux interstitielles des grains de sable des plages est rapide.
Dans le cadre du changement climatique qui impacte la température, l’érosion et l’oxygénation de l’eau, il est essentiel de considérer ces nouvelles découvertes. Elles ne doivent pas être négligées dans les modèles océanographiques, en particulier dans les estuaires qui sont sujets aux embâcles vaseux.
Les principales sources naturelles de thallium sur les terres émergées sont essentiellement les geysers, le volcanisme et certains systèmes hydrothermaux. De même, elles sont associées à l’érosion des roches contenant du Tl et à la proximité d’affleurements géologiques riches en métaux lourds.
Au cours des années 2020, les scientifiques s’efforcent de modéliser et de prévoir le comportement de l’élément chimique 81 dans l’environnement. Ils cherchent notamment à comprendre les interactions dynamiques de ce métal avec les interfaces solide-eau. Pour ce faire, ils ont pris en compte divers paramètres tels que la température, le pH, la dureté de l’eau, l’oxygénation et les facteurs biotiques/abiotiques.
Dans les eaux
En 2011, une étude réalisée dans le sud-ouest de l’Angleterre a évalué le niveau du thallium dans différents échantillons d’eau. Les concentrations en Tl dissous les plus basses (<20 ng L−1) ont été observées dans :
- l’eau du robinet ;
- l’eau de pluie ;
- les eaux usées traitées ;
- les effluents de décharges ;
- les eaux estuariennes et des rivières drainant des bassins versants constitués de grès et de schistes.
En revanche, des niveaux pouvant atteindre environ 450 ng L−1 ont été mesurés dans les eaux de bassins versants partiellement minéralisés. Dans les zones où des activités minières ont eu lieu, la constatation a été la même (jusqu’à 1 400 ng L−1 d’ans l’une d’elles). Contrairement aux autres éléments métalliques à l’état de trace étudiés, le Tl ne se combine pas facilement aux particules en suspension. L’étude a également révélé que les traitements classiques des eaux minières (précipitation d’hydroxydes) n’ont pas pu prendre en compte ce métal.
En 2010, dans une région houillère de Trzebinia en Pologne, des échantillons d’eau présentaient des niveaux de thallium extrêmement élevés. Ils étaient évalués à 20 à 30 fois supérieurs à ceux des eaux de surface typiques du pays. Cette forte concentration a été observée dans les sédiments de fond et de sol provenant des plaines inondables des ruisseaux Wodna et Luszowka.
En surface, l’élément chimique 81 est principalement retenu dans les matières en suspension. Cette situation conduit à des teneurs alarmantes (environ dix fois plus élevées que celles des minerais de zinc-plomb). Les eaux colorées du Miocène ont notamment montré une médiane de thallium soluble dix fois supérieure à celle des eaux de surface de la rivière Warta. Il s’agit d’une source de préoccupation majeure. En effet, une faible proportion de Tl soluble entraîne une forte concentration de cet élément dans l’eau (médiane de 0,11 μg L−1).
Dans les eaux souterraines
La quantité de thallium dissous dans les eaux souterraines augmente progressivement avec la profondeur.
Elle est également influencée par le contexte géologique. Habituellement, elle se situe entre 20 et 24 μg L−1, mais peut atteindre au moins 1 100 μg L−1 en plus grande profondeur. Ces eaux souterraines constituent donc une source significative de contamination par l’élément chimique 81. Il est possible que les teneurs y soient de 2 à 3 fois supérieures à celles des eaux de surface.
Près de Pietrasanta, en Toscane (Italie), la nappe naturellement acide du quartier de Valdicastello Carducci, a été contaminée par d’anciennes mines de pyrite. Dans les galeries minières, l’eau contenait jusqu’à 9 000 μg/L de thallium. En 2014, les taux dans l’eau du robinet variaient de 2 à 10 μg/L.
En 2016, dans la même région, des centaines d’échantillons de cheveux et d’urine ont été prélevés chez les habitants. Les résultats d’analyse ont fait état de valeurs de 1 à 498 ng/g. Pour les personnes non exposées (groupe témoin), les concentrations de Tl variaient entre 0,1 et 6 ng/g. L’étude s’est basée sur les niveaux présents dans l’eau du robinet de la zone de résidence des personnes ainsi que sur leur mode de vie. Le seuil de référence européen pour l’urine est de 0,006 μg/L, alors que les taux prélevés montraient 0,046 à 5,44 μg/L. Les habitants ont reçu l’ordre de ne plus boire cette eau.
Dans les sédiments
Les sédiments des ruisseaux qui se forment à partir des sols naturellement lessivés renferment des doses très limitées de thallium. Par exemple, ceux des dépôts de sable et de graviers fluvio glaciaires en Pologne contiennent entre 0,02 et 0,17 mg/kg de Tl.
Les sédiments des régions industrielles renferment des quantités alarmantes de Tl, comme en témoigne une étude récente menée dans le sud de la Chine en 2022. Elle a examiné la nature et la quantité des isotopes ε205Tl présents dans les sédiments d’une rivière en aval d’une fonderie de plomb-zinc. Les résultats ont constaté une forte augmentation de cet isotope, sous forme dissoute et sous forme de particules ultrafines (~μm). Les valeurs reçues sont similaires à celles constatées dans les déchets de la fonderie. Les chercheurs ont conclu que cette dernière était responsable d’environ 80 % de la contamination en thallium de la rivière et de ses sédiments.
Chez les microbes
L’environnement immédiat des gisements géologiques, tels que les mines de pyrites, renferment du thallium auquel les organismes vivants sont exposés en permanence. Certaines communautés bactériennes s’y sont plus ou moins acclimatées, dépendamment de la concentration en Tl et des paramètres géochimiques : pH, S, Fe et TOM. Les chercheurs ont observé que l’élément chimique 81 façonne et influence leur répartition verticale. Les assemblages microbiens dans ces zones sont principalement dominés par des bactéries aux propriétés :
- réductrices Mn;
- oxydantes du soufre (S) ;
- réductrices du fer (FeRB) ;
- oxydantes du fer (FeOB).
Les cycles du fer, du manganèse et du soufre dans le sol jouent un rôle étroit dans le cycle biogéochimique du thallium. Cette caractéristique suggère la possibilité d’utiliser des microbes indigènes pour la bioremédiation des sols contaminés par le Tl.
Chez les végétaux
Les végétaux ont la capacité d’absorber l’élément chimique 81 du sol et de l’eau du sol. Ils l’assimilent aussi via les dépôts humides comme les précipitations, la rosée, la neige et le givre. Par ailleurs, le thallium peut être capté à travers les dépôts secs, notamment les poussières, les nanoparticules, les particules et les microparticules présentes dans l’atmosphère.
Dans le phytoplancton
Les teneurs en Tl dans le phytoplancton d’eau douce, tels les macrophytes terrestres, fluctuent considérablement en fonction de plusieurs paramètres :
- le pH ambiant ;
- la durée d’exposition ;
- le type d’organisme ;
- le taux d’ions K+ dans la zone de contamination.
Le taux de l’élément chimique 81 dans l’environnement est également considéré.
Dans les plantes (macrophytes terrestres, hors arbres)
En Pologne, au début du XXIe siècle, les plantes présentaient généralement des concentrations de thallium de l’ordre de 0,05 mg/kg, avec des variations significatives. Ainsi, les trèfles des régions soi-disant non contaminées en contenaient entre 0,008 et 0,01 mg/kg. Les graminées affichaient des taux allant de 0,02 à 0,6 mg/kg. Chez les champignons, les niveaux sont beaucoup supérieurs, atteignant jusqu’à 5,5 mg/kg, soit près de 20 fois plus que ceux des légumes infectés. Par ailleurs, les champignons ont la capacité de bioaccumuler les métaux toxiques.
Teneurs de thallium dans quelques espèces végétales
Les teneurs en Tl les plus conséquentes ont été enregistrées dans la région de Bukowno-Olkusz, entre Katowice et Cracovie. Un complexe d’extraction et de fusion de zinc-plomb s’y trouvait. Les bourgeons de bouleau contenaient 9,4 à 12,6 mg/kg de Tl, et les feuilles en renfermaient en moyenne 18,5 mg/kg. Les graminées présentaient des quantités encore plus importantes, avec 25,5 mg/kg. La sève de bouleau consommée par l’homme en contenait de 89 à 145 μg/L. Les plantes du genre Brassica, en particulier le chou, le chou frisé et le colza, sont connues pour accumuler ce métal. Asami et al. l’ont expressément souligné en 1966.
D’autres études ont montré que, comme pour d’autres métaux toxiques, l’absorption de Tl par les plantes accroît avec l’acidité du sol. De nombreuses régions industrielles ont été exposées à des pluies acides, et les zones minières sont souvent confrontées au drainage minier acide
Facteurs influençant la biodisponibilité du thallium dans les sols cultivés
D’après des chercheurs chinoix, la disponibilité rapide du potassium et le potassium total du sol impactent beaucoup sur la biodisponibilité du thallium dans les sols cultivés. Cependant, la dégradation du sol accentue l’accumulation du Tl dans les légumes. Étonnamment, le taux de MO ne semble pas avoir une conséquence significative sur la mobilité du Tl dans la majorité des sols de laitues. Dans ce même cas, les oxydes de fer et de manganèse ont eu peu d’effet sur cette disposition caractéristique du thallium. Selon cette étude, la consommation de chou-fleur ou de laitue ne constituerait pas une source de contamination au thallium.
Dans les arbres (surtout résineux)
Certains végétaux, en particulier les arbres résineux, ont la capacité de bioconcentrer et de bioaccumuler l’élément chimique 81.
Certains végétaux, en particulier les arbres résineux, ont la capacité de bioconcentrer et de bioaccumuler l’élément chimique 81.
Dans le sud de la Pologne, une étude a été faite sur les cernes du pin sylvestre (Pinus sylvestris L.). Il était planté à proximité d’une usine de fusion du zinc à Olkusz. L’analyse s’est portée sur la répartition et la composition isotopique du thallium, du zinc, du cadmium, du plomb et du potassium. Elle s’est également basée sur celles du calcium, du magnésium et du manganèse. Les cernes du pin renfermaient 0,8 mg/kg de Tl, corroborant ainsi la capacité des conifères à bioaccumuler ce métal. Bien qu’ils puissent servir d’indicateur alternatif de pollution chronique au thallium, ils ne permettent pas un suivi temporel précis de cette contamination. En effet, le comportement du thallium dans le bois de pin est atypique par rapport aux autres éléments trace métalliques.
Pertinence relative du suivi dendrométrique du Tl dans les cernes des arbres
Alors que la présence du zinc et du cadmium dans les cernes est étroitement liée aux dépôts au sol, cette corrélation semble moins prononcée pour le Tl. Cette divergence pourrait s’expliquer par des apports provenant des feuilles ou de l’écorce plutôt que des racines. Elle suggère aussi l’implication des variations de l’absorption racinaire au fil du temps, en fonction de la météo, de l’activité mycorhizienne, etc. De plus, les effets de la translocation latérale du thallium de l’aubier vers le bois peuvent être inégaux. Par conséquent, l’utilisation des cernes comme indicateur de la contamination par ce métal est limitée.
Des phénomènes similaires ont été observés dans plusieurs espèces d’arbres, avec l’arsenic qui ressemble chimiquement au phosphore. Dans ce cas, l’analyse de la composition isotopique du plomb dans les arbres et le sol environnant a confirmé que l’usine de fusion était la principale source de pollution. L’étude des taux de nutriments (Mg, Mn, Mg) dans le bois a révélé des variations environnementales relatives aux dépôts acides. Par conséquent, le suivi dendrométrique du Tl dans les cernes des arbres semble ne pas être approprié, tout comme pour l’arsenic. En effet, il ne donne pas d’informations précises sur la chronologie des dépôts de thallium dans l’environnement de l’arbre.
Conséquences de la forte affinité du thallium pour les bois résineux
Lors des incendies touchant les bois résineux, le thallium piégé dans les arbres est libéré dans l’environnement par l’émission de fumées. De plus, la décomposition du bois dégage le Tl accumulé durant sa croissance dans le réseau trophique. Cela explique la forte contamination qu’on observe dans les champignons. Également, l’air devient pollué quand le bois résineux est utilisé comme source d’énergie en tant que combustible.
Les usines de fabrication de pâte à papier et de papier/carton à base de fibres cellulosiques de pins et d’autres résineux sont concernées. Elles produisent des effluents gazeux, solides et liquides probablement contaminés par l’élément chimique 81. En Ontario, 27 fabriques de papeterie ont été suivies de près pendant un an en 1990. Les teneurs en Tl dans leurs effluents variaient de 890 à 70 000 ng/L, au cours des six premiers mois. Le semestre suivant, elles étaient comprises entre 6 920 et 230 000 ng/L.
Dans une usine de fabrication de carton ondulé, les quantités de thallium dans les effluents étaient de 52 780 ng/L à 230 000 ng/L. La limite de 200 ng/L fixée pour l’eau potable était largement dépassée. En comparaison, dans le même établissement, on a enregistré les niveaux moyens du mercure, du cadmium et du plomb. Respectivement, ils étaient à 400 ng/l, 20 800 ng/L et 130 000 ng/L.
Négligence du thallium en tant que polluant environnemental majeur
Jusqu’à la fin des années 1980, le Tl a été dédaigné dans la surveillance des effluents gazeux, liquides et solides provenant des secteurs de l’aciérie et de la papeterie. Cependant, une étude comparative entre les concentrations de ce métal et celles du plomb, du cadmium ainsi que du mercure a révélé une tendance régulière. En effet, les niveaux de thallium étaient systématiquement supérieurs ou équivalents à ceux des autres polluants considérés comme prioritaires depuis des décennies : Tl ≥ Pb > Cd > Hg.
Les effluents aqueux provenant de sept usines du secteur de la sidérurgie en Ontario, ont été analysés. Ils présentaient des teneurs en Tl allant de 10,1 à 23,6 kg/jour (soit une moyenne de 18,7 kg/jour). Ces valeurs dépassent largement celles du mercure (0,05 kg/jour), du cadmium (4,0 kg/jour) et du plomb (21 kg/jour). La plupart des fabriques affichaient des taux de thallium de 0,0 à 60 000 ng/L dans leurs eaux usées. Toutefois, dans une usine spécialisée, les concentrations étaient de 10 000 à 220 000 ng/L. Elles excèdaient largement et régulièrement le seuil fixé à 200 ng/L pour la qualité de l’eau en Ontario. Ainsi, on peut affirmer qu’au début du XXIe, l’élément chimique 81 était un polluant environnemental majeur largement sous-estimé.
Chez les animaux
Le thallium est extrêmement bioassimilable et hautement toxique pour les animaux à sang chaud (dont l’Homme) et les animaux à sang froid. Une quantité minime ou un simple contact avec sa forme métallique peut être néfaste. De ce fait, certains insecticides renfermaient ou contiennent encore des sels du Tl. Il a également été utilisé dans des produits pour empoisonner les rats.
Poissons
Certains poissons migrateurs ont été retrouvés avec des niveaux de thallium allant de 0,2 à 12 nmol g−1. Tel est notamment le cas des salmonidés (Salvelinus namaycush) qui se déplacent entre le lac Michigan et le centre de l’océan Pacifique. Dans le lac Hazen (île d’Ellesmere, Nunavut, Canada), les truites alpines (Salvelinus alpinus) affichaient des concentrations de 0,07 à 0,61 nmol g−1. Dans des lacs recevant des eaux usées de traitement de l’uranium, les grands brochets (Esox lucius) présentaient des hauts niveaux de Tl. Ils étaient quatre à cinq fois plus élevés que ceux des poissons vivant dans des lacs non contaminés de la même région.
Dans les zones polluées par le thallium étudiées, les muscles des poissons en renfermaient environ 470 nmol g−1 dans les années 1950. Pourtant, les taux étaient de 575 nmol g−1 dans les années 1970. Des effets toxiques ont été signalés chez les jeunes saumons atlantique exposés à 0,15 μmol L−1 de Tl dissous. Il s’agit de la dose la plus faible. D’après Pickard et al. (2001), 50 % des poissons périssent quand les teneurs en thallium se situent entre 20,9 et 294 μmol L−1. Cette situation a notamment été constatée chez la truite arc-en-ciel, le gardon et la perche.
Amphibiens
La reproduction des amphibiens peut constituer une source de contamination majeure par le Tl pour les prédateurs. Cela a été constaté dans la région de Bukowno-Olkusz en Pologne, entre les villes de Katowice et Cracovie. Les amphibiens eux-mêmes sont également concernés. Chez les crapauds adultes de Bukowno, une accumulation importante de thallium dans leur foie a été observée. Les quantités moyennes variaient de 3,98 mg kg-1 (en poids sec) à 18,63 mg kg-1. Par ailleurs, plus de 96,5 % des foies contenaient plus de 1,0 mg kg−1 de thallium, ce qui constitue une intoxication sévère.
Oiseaux
Mochizuki et al. ont mené une étude au Japon en 2005. Ils ont mesuré les niveaux de thallium dans le foie et les reins de cinq espèces de canards barboteurs. Une analyse a aussi été faite sur trois espèces de canards plongeurs. Les concentrations de Tl se situaient entre 0,0049 à 0,14 μmol g−1 en poids sec. Elles étaient quatre fois plus élevées chez les canards de surface que chez les canards plongeurs. Cette différence peut s’expliquer par les comportements alimentaires distinctifs des deux espèces dans un même plan d’eau.
Animaux chassés, pêchés ou élevés et mangés, un risque pour les consommateurs
En 1906, W. Luck a utilisé du thallium pour empoisonner une poule. Puis, il a nourri des rats par sa chair, entraînant la mort de onze d’entre eux. À leur tour, certains prédateurs et espèces nécrophages, comme le sanglier (tendance nécrophage), peuvent être victimes d’empoisonnement. De plus, des gibiers qui ont consommé des appâts raticides peuvent être contaminés par le thallium. Ils mettent alors en danger la santé de ceux qui les mangent.
En 192, P.G Shaw a examiné les quantités d’élément chimique 81 présents dans les tissus. Il a conclu que l’ingestion de viande de gibier à plumes ayant mangé un appât rodenticide au thallium pourrait entraîner une intoxication secondaire. De plus, des doses significatives de thallium peuvent être présentes dans le fœtus d’animaux gravides empoisonnés.
Fourchettes de teneurs typiques des tissus musculaires d’autres animaux
Des recherches plus récentes ont fourni des estimations sur les concentrations typiques de Tl dans les tissus musculaires d’autres animaux. Ces derniers sont élevés, pêchés ou chassés pour la consommation humaine. Les teneurs sont notamment de :
- 0,84 ng/g chez les lapins ;
- 0,74 ng/g chez les bovins ;
- 1,7 ng/g-1 chez les porcs ;
- 0,74 à 110,5 ng/g-1 chez les poissons.
En 2015, une étude de l’INRA a été publiée dans la revue Production animale. Elle a souligné le manque de données concernant le risque de contamination des animaux sauvages ou du gibier ainsi que de la chaîne alimentaire. La pollution peut avoir eu lieu suite à l’épandage de matières fertilisantes d’origine résiduaire (MAFOR) renfermant du thallium.
Facteurs de concentration dans les tissus animaux
En 2015, une étude de surveillance a été menée dans deux régions industrielles de Pologne présentant différents niveaux de pollution par divers métaux toxiques. L’objectif était d’évaluer la contamination du réseau alimentaire par le plomb, le cadmium et le mercure. Pour ce faire, des indicateurs biologiques tels que le chevreuil (un herbivore) et le sanglier (un omnivore et nécrophage) ont été utilisés. Les résultats de l’analyse ont révélé des taux préoccupants de Pb, Cd et Hg dans les échantillons de foie, de rein et, dans une moindre mesure, de muscle. Ces niveaux de contamination représentent un risque pour la santé des consommateurs des animaux étudiés. Ils ont comparé ces données avec celles du district des lacs de Mazurie, considéré comme épargné par l’activité industrielle.
Les chercheurs ont également évalué les facteurs de concentration moyens des métaux dans les tissus animaux. Ils les ont comparés à leur quantité dans le contenu gastrique ou ruminal. Les résultats ont clairement indiqué que la zone affectée par les activités de fusion présentait une contamination plus élevée que la zone d’extraction de lignite. Des niveaux élevés de plomb, de cadmium et de mercure dans les abats de gibier peuvent représenter une menace pour les consommateurs de venaison.
Dans les agrosystèmes
Des recherches effectuées par l’INRA dans les années 1990 en France ont mis en évidence la présence de l’élément chimique 81 dans les agroécosystèmes.