Toxicité chez l’homme
Une fois à l’intérieur de l’organisme humain, le plutonium est véhiculé par des protéines appelées transferrines et stocké dans le sang par la ferritine. Progressivement, il s’accumule principalement dans les os, mais aussi dans le foie, et en petite quantité, dans les poumons. Il reste dans l’organisme pendant environ 50 ans.
Pour atténuer ses effets, du DTPA (complexe d’acide diéthylène-triamine penta-acétique), également connu sous le nom d’acide pentétique doit être injecté dans les 24 heures suivant la contamination, en combinaison avec du zinc ou du calcium. Cette technique limite la fixation du plutonium, ainsi que celle de l’américium et du curium.
L’entérobactine et la déféroxamine peuvent également être appliquées dans le traitement de l’intoxication. D’autres chélateurs, tels que le 3,4,3-LIHOPO et la DFO-HOPO (déféroxamine-hydroxypyridinone), ont même montré une efficacité supérieure par rapport au DTPA.
Lorsque le plutonium pénètre dans le corps humain par voie intestinale ou pulmonaire, environ 10 % de la quantité absorbée est éliminée du corps, principalement par les excréments et l’urine. Le reste qui entre dans le sang est réparti à parts égales entre le foie et le squelette, où il peut rester pendant une période considérable, voire toute la vie.
Selon le Département de l’Énergie américain (DOE), sa demi-vie est d’environ 20 ans dans le foie et 50 ans dans les os. Ces estimations sont basées sur des modèles simplifiés qui ne prennent pas en compte les redistributions intermédiaires. Ces dernières se produisent lors de recyclage normal de l’os, de processus de décalcification, de ménopause ou de fracture osseuse.
Selon leurs données, le taux d’accumulation du Pu dans le foie et les os est influencé par l’âge de l’individu, avec une absorption accrue par le foie au fil du temps. Il a tendance à se concentrer d’abord sur les surfaces externes des os, puis à se déplacer progressivement à travers les os pour atteindre leur structure interne.
Utilisations du plutonium
Usage militaire
Le 239Pu est essentiel dans la production d’armes nucléaires où il est utilisé comme isotope fissile. Il est plus pratique en raison de son abondance et de sa facilité de manipulation. La masse critique du plutonium peut être réduite en enrobant le noyau avec des matériaux réflecteurs de neutrons. Ces derniers ont un double rôle : ils vont à la fois augmenter le flux de neutrons thermiques dans le noyau et retarder son expansion thermique. Ce processus permet d’avoir une réaction en chaîne plus longue et une explosion nucléaire plus puissante.
Dix kilos de 239Pu suffisent pour atteindre la criticité, si aucun réflecteur n’est utilisé. Cependant, une conception améliorée peut réduire en théorie ce poids de moitié pour atteindre la criticité. Cela serait l’équivalent du 1/3 de la masse critique de l’uranium 235.
En 1945, les États-Unis lâchent sur Nagasaki la bombe Fat Man. Celle-ci présentait une configuration spécifique de plutonium qui a maximisé sa puissance explosive. Elle contenait une charge de 6,4 kg d’alliage plutonium-gallium (239Pu-240Pu-Ga dans un ratio de 96:1:3), avec une source de neutrons d’amorçage Be-210Po en son milieu. L’ensemble était enrobé de lentilles explosives qui compriment le plutonium, augmentant ainsi sa densité et, par conséquent, l’intensité de l’explosion. Cette dernière a atteint l’équivalent d’environ 20 000 tonnes de TNT.
Usage civil
Les déchets nucléaires provenant de réacteurs à eau légère standard contiennent un mélange d’isotopes de plutonium, notamment le 238Pu, le 239Pu, le 240Pu et le 242Pu. Ce combustible ne renferme pas assez de 239Pu pour être directement utilisé dans la fabrication d’armes nucléaires. Cependant, il est recyclé en combustible MOX (Mixed Oxides), qui sert de carburant dans les réacteurs.
Pendant la réaction nucléaire, le plutonium est exposé à des captures neutroniques accidentelles qui entraînent une augmentation de la quantité de 240Pu et de 242Pu. Au bout du premier cycle, le plutonium perd de son efficacité et ne peut être exploité que dans des réacteurs à neutrons rapides. En l’absence de ces derniers, l’excès de Pu est souvent éliminé en tant que déchets radioactifs à longue durée de vie. Actuellement, la construction de réacteurs à neutrons rapides est au cœur des priorités afin de minimiser et valoriser les déchets nucléaires.
Le procédé PUREX (Plutonium-Uranium Extraction) est le processus chimique le plus utilisé pour extraire l’uranium et le plutonium des déchets nucléaires. Le résultat obtenu forme le MOX, composé de dioxyde de plutonium (PuO2) et de dioxyde d’uranium (UO2), appliqué comme combustible dans des réacteurs nucléaires. Il renferme 60 kg de Pu par tonne et fonctionne dans les réacteurs à eau légère.
Au bout de quatre ans d’utilisation, 75 % du Pu contenu dans le MOX sont consommés. Les surgénérateurs sont conçus pour que les neutrons produits lors de la réaction nucléaire puissent générer plus de matériau fissile qu’ils n’en consomment.
Depuis 1980, l’Europe a adopté le mélange d’oxydes MOX dans ses besoins nucléaires. En 2000, la Russie et les États-Unis ont signé le PMDA (Accord de gestion et de traitement du plutonium), dont le principal objectif est de se débarrasser des 34 tonnes de plutonium de qualité militaire. Le recyclage de toute cette quantité par le DOE américain devait être achevé avant la fin de l’année 2019.
Le MOX a la capacité d’augmenter le rendement énergétique total. Les barres de combustible nucléaire sont recyclées après trois ans et réintégrées dans un réacteur. Les isotopes de plutonium et d’uranium générés pendant cette période d’utilisation y sont conservés. Les déchets extraits ne constituent qu’environ 3 % de leur masse totale. La durabilité du Pu de qualité militaire dans le réacteur à eau légère est altérée par le gallium, bien qu’il ne soit présent qu’en petite quantité, à hauteur de 1%.
Les principaux centres de recyclage du plutonium sont :
- les unités THORP de Sellafield et B205 au Royaume-Uni,
- l’usine nucléaire de Rokkasho au Japon,
- l’usine de retraitement de la Hague en France,
- le complexe nucléaire de Maïak en Russie.
D’autres sites de moindre envergure sont également fonctionnels, notamment au Pakistan et en Inde.
Usage spatial
La période radioactive du 238Pu est de 87,74 ans. Il produit une quantité significative d’énergie thermique, ainsi que des flux relativement faibles de photons gamma et de neutrons. Sa puissance thermique est de 570 W/kg. Cet isotope émet des particules alpha à haute énergie mais peu pénétrantes. Par conséquent, une protection légère, telle qu’une feuille de papier, est suffisante pour les arrêter. En raison de ces propriétés, il est considéré comme source de chaleur potentielle dans les dispositifs ne nécessitant aucun entretien direct durant toute une existence humaine.
Le 238Pu a été utilisé pour les missions d’exploration spatiale New Horizons, Galileo, Voyager et Cassini-Huygens et dans le rover Curiosity du Mars Science Laboratory. Il a notamment servi dans les éléments chauffants à radioisotope (RHU) et les générateurs thermiques à radioisotope (RTG).
Les sondes Voyager, lancées en 1977, étaient équipées chacune d’une source de plutonium de 500 W. Après plus de 30 ans, les sondes ont pu maintenir un fonctionnement limité grâce à la puissance de 300 W encore produite par les sources d’énergie. Les cinq appareils scientifiques ALSEP (Apollo Lunar Surface Experiments Packages) installés sur la Lune en 1969 lors de la mission Apollo 12 contenaient une ancienne version de ce procédé.
L’isotope 238Pu trouve également usage dans le domaine médical, en particulier dans l’alimentation des stimulateurs cardiaques. Son application permet de réduire les procédures chirurgicales récurrentes relatives au renouvellement de la source d’énergie. En 2003, il a été remplacé par les piles au lithium, mais entre 50 et 100 patients aux États-Unis sont encore équipés de stimulateurs cardiaques fonctionnant avec du 238Pu.
Sécurisation du plutonium
Le plutonium est considéré comme un matériau sensible en raison de son potentiel d’utilisation dans des applications militaires ou terroristes. Par conséquent, plusieurs textes et conventions internationaux ont été établis dans le but de réguler son accès. Le risque de prolifération est limité lorsqu’il est recyclé à partir de déchets nucléaires, dû à la présence des isotopes 240Pu et 242Pu. En effet, ces derniers sont non fissiles et difficiles à éliminer.
Lorsqu’un réacteur nucléaire fonctionne avec une combustion massique faible, il a tendance à produire moins d’isotopes non fissiles. Le matériau nucléaire résultant est susceptible d’être utilisé à des fins militaires. Le plutonium de qualité militaire contient généralement environ 92 % de 239Pu, l’isotope fissile le plus couramment utilisé dans les armes nucléaires. Cependant, 85 % de 239Pu est suffisant pour construire une bombe nucléaire moins puissante.
Si la combustion massique du réacteur à eau légère est normale, le plutonium qui en résulte contient moins de 239Pu, à hauteur de 60 %. Il renferme également 30% d’isotopes non fissiles ainsi que 10% de 241Pu. L’explosion des bombes nucléaires fabriquées à partir de ce matériau demeure incertaine ; néanmoins leur utilisation peut entraîner la libération de substances radioactives.
Par conséquent, tous les isotopes du plutonium sont classés comme matériau à usage nucléaire par l’Agence internationale de l’énergie atomique. Celle-ci justifie cette disposition par le fait qu’ils peuvent être directement employés dans la confection d’explosifs nucléaires, sans nécessiter d’enrichissement supplémentaires ou de modifications. La détention de cet élément est régie par le code de la Défense, chapitre III, en France.
Production du plutonium
Plutonium 238
Les isotopes 238Pu et 239Pu sont formés par la chaîne de désintégration de l’uranium 235 dans les centrales nucléaires.
- Une première capture neutronique permet au 235U de se stabiliser grâce au rayon gamma qu’il émet. L’isotope 236U en résulte, avec une période radioactive de 23 millions d’années.
- Le 235U subit une deuxième capture et forme le 237U, instable et avec une demi-vie courte de 6,75 jours. L’émission β– lui permet de se transmuter en neptunium 237, qui peut vivre jusqu’à 2,2 millions d’années. L’isotope 238U peut également se transformer en 237U suite à une perte de neutron par la réaction (n, 2n).
- Une troisième capture de neutron donne naissance à du 238Np instable, avec une durée de vie radioactive de 2,1 jours. Par la suite, il subit une émission β– pour se convertir en 238Pu.
La demi-vie du 238Pu est de 86,41 ans. Il émet une radioactivité alpha significative et possède une activité spécifique élevée en termes de rayonnement alpha et gamma. C’est pourquoi le 238Pu est choisi comme source de neutrons, de chaleur et d’énergie électrique dans les générateurs thermoélectriques à radioisotopes. Il sert uniquement dans des applications spatiales comme source d’électricité et, anciennement, dans des stimulateurs cardiaques.
Le 238Pu provient de l’émission de neutrons du 237Np (récupéré lors du recyclage des déchets nucléaires), ou de l’américium dans un réacteur nucléaire. L’extraction du 238Pu de ces éléments nécessite une dissolution nitrique.
Sur une période de trois ans, le combustible irradié des réacteurs nucléaires à eau ne contient que 700 grammes de neptunium 237 par tonne de combustible. L’extraction de ce Np se fait de manière sélective.
Plutonium 239
Le 239Pu est produit par capture neutronique, suite à l’exposition de 238U à des rayonnements dans les réacteurs nucléaires. Le neutron (rapide ou thermique) capturé par l’atome de 238U se transforme temporairement en 239U : 10 n + 238 92 U → 239 92 U.
Le 239U, instable, viable seulement pendant 23,5 minutes, subit ensuite une radioactivité β– pour donner du neptunium : 239 92U ⟶ 239 93 Np + e− + νe.
Le 239Np, viable environ 2,36 jours, se transforme ensuite en 239Pu dont la demi-vie est de 24 000 ans par décroissance β– : 239 93 Np ⟶ 239 94 Pu + e− + νe.
Le 239Pu participe à la réaction en chaîne du réacteur en tant qu’isotope fissile. Ainsi, lors de l’évaluation énergétique d’un réacteur nucléaire, la capacité énergétique de 235U initial et celle de 238U fertile transformé en plutonium sont prises en compte.
Le 239Pu peut procéder à une capture neutronique sans subir de division nucléaire s’il est exposé à un flux neutronique. L’absorption de neutrons par le 239Pu et ses produits de fission lors de périodes prolongées d’irradiation conduit à l’accumulation d’isotopes plus lourds dans le combustible nucléaire. Ce processus permet l’apparition des isotopes 240Pu, 241Pu, 242Pu, ainsi que 243Am, produit de désintégration de 243Pu.
La quantité d’un isotope produit dépend de l’abondance de l’isotope parent, qui doit avoir eu le temps de s’accumuler. Le 239Pu suit donc une évolution linéaire dans un combustible vierge. La quantité de 240Pu croît de manière quadratique (t²) avec le temps, tandis que celle de 241Pu croît de manière cubique (t3), et cette tendance se poursuit ainsi pour les isotopes suivants.
Pour garantir la pureté du plutonium militaire, il est nécessaire d’extraire le combustible, les cibles et la couverture utilisés lors de sa fabrication après quelques semaines. Pour le cas du plutonium à usage civil, une brève exposition aux rayonnements ne suffit pas à extraire toute l’énergie produite par le combustible. Ce dernier n’est retiré des réacteurs qu’après trois ou quatre ans.
Une fission de 235U équivaut à environ 0,8 atome de 239Pu, ou environ 1g/MW par jour de plutonium dans un réacteur. En France, 11 tonnes de plutonium sont produites chaque année environ. Toutefois, les réacteurs à eau légère ont tendance à générer moins que les graphite-gaz.
Plutonium 240
Le 240Pu ne fait pas partie des isotopes fissiles du plutonium. Il présente une radioactivité quatre fois supérieure à celle de 239Pu, et une période radioactivé de 6 500 ans.
Plutonium 241
Le 241Pu est un isotope radioactif fissile, avec une demi-vie de 14,29 ans. Il se décompose en américium 241 neutrophage et altère la performance des engins nucléaires.
Plutonium 242
Le 242Pu est un isotope peu fertile, avec une section efficace faible. Il se forme suite au recyclage récurrent du plutonium en réacteur. Sa demi-vie est de 373 000 ans.
Plutonium 243
Le 243Pu est instable, avec une demi-vie de moins de cinq heures. Sa désintégration forme l’américium 243.
Plutonium 244
Le 244Pu est l’isotope le plus stable du plutonium, avec une période radioactive de 80 millions d’années. Il n’est pas un produit de fission. En effet, le 239U se transforme en 243Pu, avec une demi-vie de cinq heures. Ce dernier, ne disposant pas suffisamment de temps pour une autre capture neutronique nécessaire à la formation du 244Pu, se désintègre rapidement en 243Am.
Le 244Pu se forme pendant les explosions de bombes nucléaires ou de supernova (nucléosynthèse stellaire), grâce à leurs puissants flux neutroniques. L’essai Ivy Mike en 1952 a donc permis la découverte du 244Pu et du 246Pu. Les concentrations de 244Pu dans la nature proviennent des essais nucléaires atmosphériques passés et des résidus de 244Pu naturel.
Réserve mondiale de plutonium
En 2013, après 70 ans de synthétisation, la réserve mondiale de plutonium est estimée à 500 tonnes, dont 52 % proviennent de sources civiles, tandis que 48 % sont d’origine militaire. Ce stock est réparti entre 5 producteurs :
- Japon : 9,4 % soit 47,1 tonnes,
- France : 13,2 % soit 66,2 tonnes,
- États-Unis : 17,7 % soit 88,3 tonnes,
- Royaume-Uni : 21,4 % soit 107,2 tonnes,
- Russie : 35,6 % soit 178 tonnes.
Les 3 % restants représentent 13 tonnes, et proviennent du reste du monde.