L’adoption du nom « tennessine »
En juin 2016, la division de chimie inorganique de l’IUPAC avait retenu la dénomination finale « tennessine » (Ts) pour l’élément 117. Ce nom a été proposé en l’honneur de l’État américain du Tennessee où se trouve le Laboratoire national d’Oak Ridge. L’élément y a été synthétisé pour la première fois.
L’IUPAC a officiellement adopté cette appellation le 28 novembre 2016. Celle-ci a été ajoutée à la classification périodique des éléments. La traduction de ce mot anglais dans les autres langues a posé certaines difficultés, notamment en français. En avril 2016, l’IUPAC avait recommandé que les noms anglais des éléments du groupe 17 se terminent normalement par la désinence -ine.
La forme « tennesse » en français
La forme « tennessine » a été largement reprise dans les médias français et par le ministère de l’Éducation du Québec. Elle a été proposée par la banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada en 2016.
Selon Luc Tremblay, la forme « tennesse » a été attestée marginalement en français au départ. Elle est déduite par continuité avec le nom des autres éléments du groupe 17. Toutefois, elle a finalement été retenue par la Société chimique de France en mars 2017. Elle a été publiée au Journal officiel en juin 2017. Il convient toutefois de noter que la forme « tennessine » est encore régulièrement utilisée en français.
Synthèse
La première synthèse de l’élément 117 a été réalisée grâce à une collaboration entre les États-Unis et la Russie. L’équipe américaine a travaillé dans le Laboratoire national d’Oak Ridge (ORNL) à Oak Ridge, dans le Tennessee. L’équipe russe, quant à elle, a mené des recherches à l’Institut unifié de recherches nucléaires (JINR) à Doubna, dans l’oblast de Moscou.
Irradiation neutronique
Le processus de synthèse a nécessité la production de berkélium. Ce dernier était obtenu par irradiation neutronique pendant environ 250 jours dans le High Flux Isotope Reactor de l’ORNL. Les cibles contenaient un mélange de microsphères de CmO2 et de poudre d’aluminium. Chacune d’elles a été irradiée avec environ 50 g d’actinides, principalement du curium, de l’américium et du plutonium.
Après l’irradiation, les cibles ont été conservées pendant plusieurs mois pour réduire la concentration d’iode 131. Environ 22,2 mg de berkélium ont été isolés des autres constituants. Six cibles de 6,0 cm2 ont été assemblées à partir de cet échantillon de berkélium au Research Institute of Atomic Reactors. Du BkO2 (équivalent à 0,31 mg/cm−2 de berkélium 249) a été posé sur un disque tournant à 1 700 tours par minute.
Les cibles ont ensuite été placées face à un faisceau d’ions calcium 48 à Doubna. L’équipe d’Iouri Oganessian a détecté les nucléides résultant de la fusion de la cible avec les projectiles de calcium.
Désintégration radioactive de l’élément 117
En janvier 2010, l’équipe du JINR a annoncé une avancée majeure dans la caractérisation de l’élément 117. Ils ont réussi à observer la désintégration radioactive de l’élément à travers deux chaînes de désintégration. Cette réaction s’est produite à l’aide du séparateur de recul à gaz de Doubna (DGFRS-I).
La première chaîne de désintégration correspondait à un isotope impair-impair, le 294Ts. Il avait subi six désintégrations α avant de connaître une fission spontanée. Cet isotope avait 117 protons et 177 neutrons.
La deuxième chaîne de désintégration correspondait à un isotope impair-pair, le 293Ts. Celui-ci avait subi trois désintégrations α avant de connaître une fission spontanée. Cet isotope avait également 117 protons, mais seulement 176 neutrons.
Ces résultats ont permis de confirmer la découverte de l’élément 117. Ils ont fourni des informations cruciales sur ses propriétés physiques et nucléaires. On parle notamment de sa demi-vie et de son mode de désintégration.
Résultats
Les données obtenues sur les chaînes de désintégration du tennesse ont été transmises au Laboratoire national de Lawrence Livermore (LLNL). Celui-ci a procédé à des analyses plus poussées. Les résultats complets de ces analyses ont été publiés le 9 avril 2010.
Ces résultats ont révélé que les deux isotopes observés pouvaient avoir une période radioactive de plusieurs dizaines, voire centaines de millisecondes. Ils permettent de mieux comprendre les propriétés nucléaires de cet élément. Elle a aussi permis de confirmer sa place dans la classification périodique des éléments.
Ces résultats ont également contribué à la compréhension de la stabilité des noyaux atomiques lourds et des processus de désintégration radioactifs. Ils ont fourni des informations importantes pour la recherche sur la synthèse des éléments super lourds. Ils ont permis aux scientifiques de comprendre la structure et les propriétés des noyaux atomiques.
L’estimation de la section efficace de la réaction pour la synthèse de l’élément 117 est d’environ 2 picobarns. Les nucléides produits lors de cette synthèse ont chacun une chaîne de désintégration relativement longue. Ils vont potentiellement jusqu’au dubnium, voire au lawrencium.
Seconde synthèse de l’élément 117
Avant sa première synthèse, tous les produits de désintégration du tennesse étaient inconnus. Leurs propriétés ne pouvaient pas être utilisées pour confirmer la validité de cette expérience. Cependant, une seconde synthèse de cet élément chimique a été réalisée en 2012 par la même équipe du JINR. Cette fois, elle a obtenu sept noyaux.
En 2014, deux noyaux supplémentaires ont été synthétisés au Centre de recherche sur les ions lourds (GSI) à Darmstadt, en Allemagne. Les recherches ont été réalisées par une équipe conjointe du GSI et de l’ORNL. Les scientifiques ont utilisé la même réaction que celle réalisée au JINR. L’équipe du GSI avait initialement envisagé d’explorer des réactions alternatives telles que la réaction 244Pu (51V, xn) 295-xTs ou éventuellement 243Am (50Ti, xn) 293-xTs.
Stabilité des isotopes
La stabilité des noyaux atomiques diminue rapidement au-delà du curium (élément 96) à mesure que le nombre atomique augmente. À partir du seaborgium (numéro atomique 106), tous les isotopes connus ont une période radioactive ne dépassant pas quelques minutes. L’isotope le plus stable du dubnium (numéro atomique 105) précède le seaborgium dans le tableau périodique. Il a une demi-vie de 30 heures. De plus, aucun élément chimique de numéro atomique supérieur à 82 (correspondant au plomb) n’a d’isotope stable.
Augmentation de la stabilité des noyaux atomiques
La stabilité des noyaux atomiques tend à augmenter légèrement autour des numéros atomiques 110 à 114. Les raisons de ce phénomène sont encore mal comprises. Cela semble indiquer la présence d’un îlot de stabilité. Cette théorie proposée par Glenn Seaborg expliquerait pourquoi les transactinides ont une période radioactive plus longue que celle prédite par le calcul. Le tennesse possède le deuxième numéro atomique le plus élevé parmi les éléments identifiés. Seul l’oganesson possède un numéro atomique supérieur dans le tableau périodique.
De plus, l’isotope 294Ts du tennesse a une demi-vie d’environ 51 ms. Cela est nettement supérieur à la valeur théorique qui avait été utilisée dans la publication faisant état de sa découverte. L’équipe du JINR considère que ces données fournissent une preuve expérimentale de l’existence de l’îlot de stabilité.
L’isotope 295Ts aurait une période de 18 ± 7 ms et pourrait être produit à l’aide d’une réaction 249Bk (48Ca, 2n) 295Ts. Celle-ci est similaire à celle qui a permis la production des isotopes 294Ts et 293Ts. La probabilité de cette réaction serait au plus de 1/7 de celle de produire du 294Ts, selon certaines estimations.
Prise en compte de l’effet tunnel
Des modélisations prennent en compte l’effet tunnel. Elles suggèrent qu’il pourrait exister plusieurs isotopes de l’élément 117 jusqu’au 303Ts. Selon ces calculs, le plus stable d’entre eux serait le 296Ts. Sa période de désintégration α serait de 40 ms. Les modèles de la goutte liquide donnent des résultats similaires. Ils suggèrent une tendance à l’accroissement de la stabilité pour les isotopes plus lourds que le 301Ts. La période partielle est supérieure à l’âge de l’univers pour le 335Ts si on ignore la désintégration β. Ces prédictions théoriques fournissent des indications sur les propriétés potentielles des isotopes du tennesse qui n’ont pas encore été synthétisés.